Comment tout a démarré
J’ai longtemps œuvré dans le milieu du fanzinat et de la petite édition, publiant de-ci de-là des nouvelles et des textes courts. Ces années de formation ont été primordiales, car c’est comme ça que j’ai acquis mon expérience d’auteur. À cette époque, quelques-unes de mes fictions ont été publiées dans des anthologies ou des revues. Le seul souci, c’est qu’on me rabâchait sans arrêt les oreilles avec le même discours concernant le genre de la nouvelle : en gros que ce type de textes ne marchait pas et ne marcherait jamais en France et qu’il serait plus judicieux de me consacrer au genre romanesque. Après plusieurs années, comme j’avais une idée pour un récit fantastico-policier d’une longueur plus ambitieuse, je me suis mis au travail. C’est devenu mon premier roman : Le Fantôme de Baker Street.
Les héros, Andrew Singleton et James Trelawney, étaient donc voués à ne vivre qu’une fois, dans le cadre de cette unique aventure. Leur psychologie et leur biographie ont été élaborées en fonction de contraintes liées à ce scénario. Par exemple, le fait qu’Andrew soit le fils d’un spirite canadien a été commandé par le fait qu’un des éléments de l’intrigue était cette fameuse photo intitulée « Conan Doyle’s Return », prise lors d’une séance psychique à Winnipeg, en 1932, durant laquelle Arthur Conan Doyle aurait tenté d’entrer en contact avec la médium. J’avais besoin que, d’une manière ou d’une autre, Andrew ait un lien, même ténu, avec l’un des participants à cette réunion spirite.
À propos des personnages
Singleton et Trelawney sont deux personnages très différents l’un de l’autre. Andrew est introverti, presque timoré et intellectualise tout. James est un garçon extraverti qui croque la vie par les deux bouts. Pour mener l’enquête, je voulais un duo de détectives qui soit à la fois l’équivalent du duo Sherlock Holmes/Dr Watson, mais sans en être le décalque simpliste. En particulier, je ne voulais pas d’un roman écrit du point de vue d’un personnage à la « Watson », suiveur et uniquement dans une posture admirative, qui serait dans l’hagiographie permanente des exploits déductifs de son acolyte. Il fallait que mes deux héros aient des personnalités différentes mais complémentaires. C’était la réunion de leurs deux personnalités qui devait être le garant de la réussite de leur enquête.

J’avais commencé une première version du roman écrite à la troisième personnage, mais je me suis très vite aperçu qu’il y avait quelque chose qui ne collait pas. La meilleure solution était d’écrire le récit du point de vue d’Andrew, celui des deux héros dont je me sentais le plus proche.
Au départ, James est le patron. C’est lui qui décide de devenir enquêteur et de partir en Europe. Andrew, lui, ne fait que suivre, il est d’une certaine manière le « Watson ». Or, très vite, les capacités logiques d’Andrew, sa sensibilité et son énorme culture livresque lui donnent un ascendant intellectuel qui lui permet de débrouiller les nœuds du mystère. Cependant, dès qu’une situation réclame du courage, de la force physique et de l’esprit d’aventure, les rapports s’inversent et James reprend temporairement le dessus. C’est en ce sens que leurs personnalités sont très complémentaires. Andrew, lui, préfère lire un bon roman, confortablement installé sur son canapé, plutôt que de mener une enquête, éprouvante et fastidieuse. Et s’il sort de chez lui, il faut qu’il ait une bonne raison : dans Le Fantôme de Baker Street, nos deux détectives sont sollicités par la veuve d’Arthur Conan Doyle, l’un des écrivain que nos héros admirent le plus. Une telle requête ne se refuse pas.
Le grand moment : l’envoi à l’éditeur
Une fois que Le Fantôme de Baker Street a été terminé, j’ai adressé le manuscrit à quatre éditeurs : Gallimard (Série noire), Le Masque, Albin Michel et 10/18. J’ai eu droit à une réponse type de la part d’Albin Michel ; pour Gallimard et Le Masque, je ne me souviens même pas d’avoir reçu un courrier.
En fait, la collection « Grands Détectives » chez 10/18 était une sorte de rêve inaccessible : c’était l’éditeur qui avait publié Carnacki, les nouvelles et les textes spirites de Conan Doyle, et maints d’autres grands classiques annotés par Francis Lacassin. Mais, dans mon idée, ils publiaient très peu de Français et privilégiaient surtout la filière achats de droits.
Pourtant, un mois et demi ou deux mois après mon envoi, j’ai reçu un coup de fil enthousiaste de la directrice littéraire, à l’époque Emmanuelle Heurtebize. Elle ne m’a pas caché qu’au départ « Grands détectives » n’avait pas vocation à faire du fantastique, mais ma façon de mêler les genres lui plaisait beaucoup et, lors de mon premier rendez-vous, elle m’a proposé deux contrats : un pour Le Fantôme de Baker Street et l’autre pour un nouveau roman à écrire, en prévoyant de les publier ensemble. Je dois avouer que son enthousiasme, et cette rapidité d’action, m’ont un peu perturbé, mais j’avais pleinement conscience d’être en train de vivre un de ces moments uniques de l’existence où les choses basculent irrémédiablement. Aujourd’hui, je me rends compte de la chance que j’ai eue d’avoir rencontré la bonne personne au bon moment.
Le roman devient une série, celle des « Aventures de Singleton et Trelawney »
Donc, en rentrant chez moi ce jour-là, j’avais du pain sur la planche. Si je voulais que Le Fantôme de Baker Street paraisse en librairie, il fallait d’abord que j’imagine une suite.
Pour ce qui était de l’époque, le choix m’était plus ou moins imposé. Les événements relatés dans Le Fantôme de Baker Street se situent en juin 1932, et comme cette enquête est la première d’importance que Singleton et Trelawney mènent ensemble (ils ont vingt-trois ans à l’époque), toute nouvelle aventure est censée se passer après cette date. D’un autre côté, j’avais écrit dans l’avant-propos du premier roman (un soir d’ivresse ou de grosse fatigue ?) que Trelawney meurt en 1944 sous les balles nazies. Ainsi le cadre était en fait fourni d’emblée : les enquêtes ne pouvaient être menées qu’entre 1932 et 1944.
Au bout du compte, ce second volume se déroulera en 1934, soit deux ans après la première histoire. Ce sera Les Portes du sommeil.