Fabrice Bourland et Gyles Brandreth et le XIXe siècle. Débat entre ces deux auteurs de la collection « Grands détectives ».
L’un est français, l’autre, anglais. Ils publient tous deux dans la collection « Grands détectives » des enquêtes à connotation littéraire liées au XIXe siècle. Même si les détectives de Fabrice Bourland, Singleton et Trelawney, vivent au XXe, la mort de Nerval en 1855 refait surface par le biais d’un manuscrit qui appartenait à Singleton, et met en scène le chevalier Dupin, personnage d’Edgar Poe. Quant à Gyles Brandreth, il a confié à Oscar Wilde le rôle d’un détective amateur et surdoué. Il évolue dans un cercle d’amis où se trouve Conan Doyle et possède les qualités de Sherlock Holmes.
La Dernière Enquête du chevalier Dupin, troisième roman de Fabrice Bourland, est plus mince que les deux premiers. Comme eux, il flirte avec le fantastique pour expliquer l’inexplicable. Le premier mystère est celui de l’origine du manuscrit, sans nom d’auteur mais traduit par « Charles Beau de l’Ers ». Les allusions, dès le début, aux livres précédents de celui qui dit tenir la plume, font comprendre qu’il s’agit d’un texte d’Edgar Poe. Un apocryphe, donc, composé par Fabrice Bourland avec talent et précision. Mais comment Poe rédigerait-il une histoire qui naît en 1875 alors qu’il est mort en 1849 ? Avec le retour de Dupin, mort en 1855 ? Ce qu’on croyait avoir compris paraît absurde.
Qu’importe : Dupin a survécu à son créateur qui, lui-même, aurait prolongé les aventures de sa créature. Il suffit d’accepter l’improbable et on peut suivre sans sourciller les détours empruntés par Bourland, au terme desquels tout s’éclaire. A moins que l’obscurité noie l’ensemble de ce récit aussi séduisant qu’énigmatique.
Gyles Brandreth suit des structures plus classiques. Oscar Wilde et le jeu de la mort replace l’écrivain au centre d’une énigme complexe. Tout commence lors d’un repas entre quatorze convives. Wilde, maître de cérémonie, propose un « jeu de la mort » aux participants : chacun inscrit sur un papier le nom de la personne qu’il voudrait tuer. Son ancienne fiancée pour l’un, un ministre pour un autre, un perroquet pour un troisième… Puis viennent Sherlock Holmes (Conan Doyle est présent), un acteur, un boxeur cité quatre fois, le Temps, Eros, un bulletin blanc et, pour finir, Oscar Wilde et son épouse.
Ce n’est qu’un jeu, se répètent les invités pour se donner du courage. Ils en auront besoin quand, jour après jour, les victimes désignées se mettent à mourir dans des circonstances diverses. La fiancée, dans un incendie. Le ministre, dans son fauteuil. Le perroquet, déplumé. Sherlock Holmes, par la volonté de son auteur. Etc. La liste se révèle dramatiquement prémonitoire. Oscar Wilde se sent de plus en plus concerné au fur et à mesure qu’approchent son nom et celui de sa femme. Destinés à mourir comme les autres ? Pourquoi, par qui ?
L’angoisse monte et seul Wilde semble ne pas la ressentir. Il multiplie les mots d’esprit, se joue de tous les pièges, bouge avec une légèreté qui correspond mal à son physique. Dans une société où les règles strictes sont souvent transgressées et où le pire criminel n’est pas le personnage principal, Brandreth construit un labyrinthe passionnant qui nous égare longtemps, avec plaisir, avant la porte de sortie.
Par Pierre Maury, journal Le Soir (Belgique) du vendredi 6 mars 2009