Appartenant aux amateurs de détectives de l’étrange et de l’occulte, je vous ai déjà fait part (février 2012) de mon admiration pour cette paire d’enquêteurs intrépides que sont James Trelawney et Andrew Singleton, les personnages créés par Fabrice Bourland (cinq enquêtes précédentes). Vient de sortir (toujours chez 10-18, dans la collection « Grands Détectives ») leur dernière enquête, Hollywood Monsters. Nous sommes en novembre 1938, l’ambiance à Londres et en Grande-Bretagne est aussi maussade et déprimée que le temps ; de plus, Andrew Singleton est condamné à l’immobilité pour s’être foulé une cheville en résolvant l’affaire dite de « l’Héritier des Bradshaw » et, accessoirement, en sauvant par la même occasion la vie de son associé et ami, James Trelawney. Résultat, sur ordre de la faculté, Andrew doit partir au soleil afin de récupérer et James décide de l’emmener à Los Angeles où ils vont retrouver l’un de leurs vieux camarades de fac, Stuart Dauncey, devenu reporter spécialisé dans les potins cinématographiques. Alors que leurs vacances se déroulaient fort bien, tout va basculer la nuit où, rentrant tranquillement d’une journée au bord du Pacifique en compagnie de nombreuses actrices (et acteurs car il s’agissait de la collecte annuelle de la guilde des acteurs) et s’étant égarés à cause de la pluie et de l’obscurité, ils se retrouvent sur Mulholland Highway, dans un coin quelque peu paumé, où ils heurtent un être bipède couvert de poils qui s’enfuit dans la nuit… Ils vont mener l’enquête pour savoir si ils ont rencontré un acteur grimé pour un coup de publicité par un studio ou un loup-garou. Et lorsqu’ils retrouveront son corps dans un petit lac proche ils continueront pour découvrir s’il s’agit d’un accident ou d’un crime. Ce qui les mènera sur une piste insoupçonnée, leur faisant découvrir, ainsi qu’à nous, la face obscure de cette Los Angeles toujours superficielle et faisant la fête. Avec son talent de plume et sa culture habituelle, Fabrice Bourland nous livre ici un roman qui est à la fois un hommage au cinéma d’horreur des années trente (et en particulier aux grands films de la Universal), à Tod Browning et son magnifique film Freaks (La Monstrueuse Parade), et un rappel de ce que peuvent devenir les meilleures intentions de la science lorsqu’elles sont poussées à leur extrême et ainsi dévoyées, en l’occurrence ces lois eugéniques qui, on l’ignore trop souvent, n’ont pas été le seul triste privilège de l’Allemagne nazie mais ont été votées et appliquées dans de nombreux pays européens et états des USA, y compris en Californie. La métapsychique et les pouvoirs parapsychologiques sont moins présents ici (quoique…), matérialisme américain oblige peut-être, mais les sociétés plus ou moins secrètes et ésotériques le sont, ainsi que l’influence de Lord Bulwer-Lytton, autre ésotériste distingué. Tout cela nous donne une enquête insolite et intrigante, d’autant plus que, comme dans ses romans précédents, l’auteur met en scène toute une galerie de protagonistes passionnants, allant des journalistes à la milliardaire excentrique en passant par les flics, tous américains jusqu’au bout des ongles tels que les imaginent la littérature et le cinéma populaires de l’époque, et le lecteur n’oubliera pas de sitôt les membres de la « Ligue pour l’émancipation des nains et contre leur séculaire oppression par les individus de grande taille », les « freaks » de l’« Angels Club » ou l’inquiétant Crestview Sanatorium et ses collections très spéciales. Ajoutez-y les réflexions sur le monde qui change, non seulement parce qu’il est au bord de la guerre, mais aussi par la réalisation que les détectives privés à la Singleton et Trelawney, amateurs distingués, sont une espèce menacée et en voie de disparition car leurs remplaçants (le détective nouveau qui fait écho à l’homme nouveau, un parallèle intéressant du roman) sont là, ces détectives professionnels « hard boiled » à la Sam Spade. L’attente fut longue mais elle en valait la peine : avec un ton quelque peu différent et plus sombre que celui des romans précédents, mais parfaitement juste, cette enquête se dévore comme les précédentes et nous ne pouvons que souhaiter que Fabrice Bourland continue encore longtemps à être le biographe français d’Andrew Singleton et de James Trelawney.
Par Jean-Luc Rivera, ActuSf, janvier 2015