Il pleut à seaux sur Londres en ce mois de novembre 1938 et les ordres de son médecin sont clairs : l’air de la mer, le soleil et du repos sont nécessaires pour accélérer la convalescence de Singleton, qui se ressent encore d’une chute spectaculaire. Le sud de la France aurait fait l’affaire, mais c’était compter sans la passion de son compère Trelawney pour le cinéma (et les actrices) : direction Hollywood. Cependant, question repos, c’était occulter que la « Californie (…) comptait plus de cinglés que n’importe quel autre endroit » au monde. De retour d’une soirée, en pleine nuit, alors que Singleton et Trelawney se perdent entre deux bancs de brume, leur voiture percute… un loup-garou. Une expérience dont les enquêteurs de l’étrange sont coutumiers, mais qu’ils préfèrent ne pas ébruiter dans un premier temps. Canular ? Campagne publicitaire d’un nouveau genre lancée par le studio Universal ? Plus tard, le corps d’une jeune femme égorgée est retrouvé.
Malgré les accords de Munich, Londres se prépare à un conflit inévitable, entre distribution de masques à gaz et ballons «saucisses» dans le ciel. Certes, les revendications territoriales de Mussolini sur Nice, la Corse et la Savoie restent pour le moment des rodomontades, mais les Sudètes sont désormais rattachées au IIIe Reich. C’est dans ce contexte troublé que Fabrice Bourland expatrie les aventures de ses détectives aux USA. Là-bas, Roosevelt est réélu ; un certain Orson Welles met de l’ambiance dans les foyers via les ondes radiophoniques ; l’exécution d’Albert Kessel et Robert Lee Cannon, qui ont «inauguré» la chambre à gaz de la prison d’Etat californienne de San Quentin, est «un franc succès» ; le «mouvement eugéniste californien» milite pour les stérilisations forcées. Car l’auteur le rappelle : les Etats-Unis furent le premier pays à mettre en place une politique eugénique, imitée ensuite par certains pays européens, dont l’Allemagne hitlérienne…
Ainsi, Fabrice Bourland passionne-t-il avec un roman aussi documenté que les précédents, à l’écriture soignée, parfois émaillé de mots peu usités, mais plein d’humour et toujours accessible.
Topographie de Los Angeles, «mélange anachronique des styles» architecturaux, night-clubs fréquentés par des célébrités… Fabrice Bourland examine aussi l’envers des décors – celui des tripots sordides, où s’exhibent dans des freak shows des êtres disgraciés par les caprices d’une nature cruelle –, comme il joue avec les codes du fantastique : brume, pleine lune et légendes.
Des créatures fabuleuses aux monstres sacrés d’Hollywood, la transition est pertinente : le roman rend un bel hommage au cinéma américain des années trente : les films d’épouvante bien sûr, mais aussi O’Selznick qui aurait enfin trouvé sa Scarlett, les artistes du muet réduits à l’indigence, la hiérarchie parmi les figurants et, plus curieux, «l’effet Koulechov» (un procédé de montage) ou Le Cuirassé Potemkine qui «a rendu Hollywood fou de jalousie», précipitant ainsi l’avènement du parlant ! Singleton et Trelawney, qui ont démarré leurs aventures sous le sceau de Conan Doyle, rencontreront même Basil Rathbone, qui incarne alors Holmes à l’écran. Mais le feutre mou et l’imperméable des privés relèguent déjà le deerstalker (la casquette) et l’inverness cape (le manteau) du célèbre détective au rang de vieilleries : Dashiell Hammet et Raymond Chandler vont transformer la littérature policière. Le monde change…
Mythes, phénomènes de foire, mais aussi dérives de la science, Bourland interroge en fait sur la véritable monstruosité humaine, celle qui dépasse les apparences : une meute de « loups enragés » nazis a procédé au dépeçage de la Tchécoslovaquie, augurant la Monstrueuse Parade à venir… L’inexplicable change de registre.
Lors de la sortie du Fantôme de Baker Street et des Portes du sommeil, Fabrice Bourland affirmait ne pas vouloir franchir le cap des années trente, un seuil « psychologique » en quelque sorte. Il convient alors de s’interroger : Hollywood Monsters serait-il annonciateur d’un clap de fin imminent ?
Polartois (site), février 2015