Dans le hall aux volubiles ornementations d’influence mauresque, un des réceptionnistes, le râblé au menton en galoche, débattait avec une vieille dame du contrat fraîchement signé par Peter Lorre pour trois nouveaux opus de la série des « Mr Moto ». J’attendis donc que son assesseur, le grand brun avec des moustaches en crocs, en ait terminé avec son client pour l’interroger sur mon colocataire de la mille deux cent quatre. L’homme dans son uniforme ocre et or composa le numéro, laissa sonner le temps nécessaire pour apprécier la situation et m’annonça sur un ton docte que selon toute probabilité mon camarade n’était pas encore rentré. Puis, ayant jeté un regard fugace sur le registre devant lui, il fit mine de se rappeler qu’on avait laissé un message pour moi. Il me tourna donc le dos pour s’en aller fureter dans un grand meuble à casiers qui occupait toute une portion de mur. Une fois qu’il eut trouvé ce qu’il cherchait, en l’espèce une enveloppe où étaient inscrits à l’encre noire mon nom et celui de James, il se hâta de revenir vers le comptoir.
— Mr Stuart Dauncey a cherché à vous joindre par téléphone, il y a environ trois quarts d’heure. Comme vous et Mr Trelawney étiez absents, il a réclamé que l’on prenne dictée de ce message et qu’on vous le remette en main propre. Il a insisté sur le fait que c’était très important.
Après l’avoir remercié, je reculai de quelques pas en direction du bar, près duquel de confortables fauteuils à oreilles de cuir étaient disposés entre des rangées de plantes vertes en pot. Le coin était rempli de clients occupés à fumer et à bavarder.
Je décachetai l’enveloppe et sortit un carton, rédigé d’une écriture soignée, qui portait l’en-tête fleuri de l’établissement :
« Une jeune femme a été sauvagement égorgée hier soir à minuit au 29091 Mulholland Highway, sur les bords du Malibu Lake. Un coup de votre loup-garou ? À moins qu’il ne s’agisse du comte Dracula ou de l’homme invisible ?
Inutile d’acheter les dernières éditions, vous n’y trouverez rien. Suis joignable au journal jusqu’à dix heures.Stuart Dauncey,
qui confirme qu’il ne s’est jamais autant amusé. »
Mes pensées dansaient la sarabande. Il me fallut relire trois fois le message avant d’en prendre la mesure. L’adresse mentionnée par Stuart concordait, autant qu’il m’était permis d’en juger, avec la portion de Mulholland Highway que j’avais délimitée tantôt sur la carte routière. Quant à l’heure du drame, cela correspondait également.
Je m’apprêtai à gagner une des cabines téléphoniques du hall, avant de me raviser. Puisque Stuart se trouvait encore à son bureau, il était plus pratique d’aller l’y rejoindre. Je filai vers le comptoir et griffonnai un mot à l’attention de James, lui réclamant de m’appeler au journal dès qu’il rentrerait. Puis je repassai la porte-tambour aussi vite qu’il m’était possible. Au moment de parvenir sur le trottoir, un taxi jaune déposait un couple devant l’hôtel. Il me sembla reconnaître Bruce Cabot dans le grand gars qui tenait par la taille une élégante couronnée d’un chapeau cloche.
Sans attendre que le chauffeur m’y conviât, j’escaladai le marchepied et me laissai choir sur le cuir de la banquette arrière où flottait encore un vague parfum de tubéreuse.
— Au 1545 Wilcox Avenue ! Devant le Citizen-News. Et au plus vite ! débitai-je en battant l’air avec la poignée de ma canne.
La voiture démarra en trombe et s’inséra dans la circulation en direction du district de Hollywood.
— Dites ! Votre dernier client, il s’agissait bien de Bruce Cabot ?
— Non, m’sieur. C’était Buster Crabbe.
— Le Tarzan d’avant Weissmuller ?
— Ouais ! Et aussi Flash Gordon.
(Extrait du chapitre IV intitulé « Où l’on constate qu’il pleut aussi en Californie »)
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