Lorsque j’ai commencé à réfléchir à Hollywood Monsters, tandis que je finissais de rédiger Le Serpent de feu, l’idée que j’avais en tête était totalement différente de ce que le roman allait devenir par la suite. Ma première intention était de rendre un hommage aux films fantastiques des années trente — en ce domaine, mon désir n’a point varié. Après avoir visionné durant des mois une bonne cinquantaine de films fantastiques de cette décennie, je suis tombé sous le charme du Fils de Frankenstein (voir la bande annonce ici), que j’ai dû voir une bonne demi-douzaine de fois en l’espace de quelques semaines. Sorti sur les écrans le 13 janvier 1939, ce film, réalisé par Rowland V. Lee et produit par Universal Pictures, obtint d’ailleurs un tel succès qu’il entraîna la mise en chantier d’une quantité de nouveaux films d’épouvante entre 39 et 46.
Dernier volet d’une trilogie (1) inaugurée en 1931 par le Frankenstein de James Whale et poursuivie en 1935 avec La Fiancée de Frankenstein, Le Fils de Frankenstein, bien qu’il n’atteigne pas à la grandeur de ces deux œuvres, regorge pourtant de nombreuses qualités : scénario ingénieux, musique ensorcelante, décors d’une audace folle (les clins d’œil à l’expressionnisme allemand sont légion tout au long du métrage). Surtout, le casting réunit à la fois l’exceptionnel duo Boris Karloff-Bela Lugosi, les deux stars de l’horreur, à Basil Rathbone, l’élégant comédien britannique qui venait d’incarner Robin des Bois sous la caméra de Michael Curtiz et allait bientôt endosser le costume de Sherlock Holmes.
Autant d’éléments qui expliquent que j’ai aussitôt ressenti l’irrépressible désir d’expédier mes personnages, Andrew Singleton et James Trelawney, à l’intérieur même de l’enceinte de Universal City, dans le cadre d’une intrigue fantastico-policière qui restait encore à définir. Tout ce que je savais, c’était que cette intrigue mettrait en scène la brochette d’acteurs du Fils de Frankenstein et se déroulerait au moment même du tournage (le premier coup de manivelle fut donné le 9 novembre 1938 et le dernier peu avant le 29 décembre, jour où Rathbone démarra Le Chien des Baskerville pour la Twentieth Century Fox) (2). Pour le reste, je n’avais qu’une très vague idée du comment j’allais m’y prendre. Afin que les choses émergent des limbes du non-être, je commençai donc à me plonger dans les ouvrages traitant de cette époque et dans les livres d’histoire du cinéma hollywoodien.
J’avais commencé de rassembler une énorme documentation sur Los Angeles, plus précisément sur Hollywood, et plus précisément encore sur Le Fils de Frankenstein. À la fin, j’en connaissais le script par cœur et j’aurais presque été capable de réciter le plan de tournage minute par minute. J’avais même mis au point un plan très fidèle de la disposition des bâtiments au sein des studios Universal. Jusqu’au jour où, par le plus grand des hasards, je suis tombé sur une page d’un site marchand bien connu. Il y était question d’un roman intitulé Who Framed Boris Karloff ? signé d’un certain Dwight Kemper et paru en 2007 chez Midnight Marquee Press, un éditeur US de romans de genre aux couvertures loufoques et surannées (voir ici). L’intrigue ? Oh, elle était simple : « En 1938, durant le tournage du film Le Fils de Frankenstein, Boris Karloff… » Pas besoin d’en lire davantage.
Le monde s’est écroulé. J’en ai été malade pendant plusieurs jours. On avait beau me dire que ce n’était pas si grave, que mon roman n’aurait rien à voir avec celui de ce Kemper, que d’ailleurs, pour en avoir la preuve, je n’avais qu’à l’acheter, ce fichu bouquin, et le lire de la première à la dernière ligne, au fond de moi, le mal était fait. Je n’avais plus qu’à jeter au feu mon brouillon de synopsis et imaginer autre chose.
Et c’est effectivement là où ont fini mes papiers.

De cette version avortée, Hollywood Monsters conserve aujourd’hui seulement quelques traces, à la manière d’un palimpseste. Ainsi, il est fait plusieurs fois référence dans le roman au tournage du Fils de Frankenstein. À un moment, l’enquête menée par Singleton et Trelawney semble même vouloir s’aiguiller vers une piste en lien avec les studios Universal, avant que celle-ci ne se referme inéluctablement. De la même manière, à la fin du livre, une soirée organisée chez un célèbre metteur en scène hollywoodien permet à Bela Lugosi, Boris Karloff et Basil Rathbone de faire une (très) brève entrée en scène.
C’est ce qu’on pourrait appeler une private joke – en bon français : « une blague d’initiés ». Tellement « private », du reste, qu’elle ne pouvait être comprise que par le cercle très restreint de ceux qui m’avaient vu dépérir au moment de découvrir l’existence de ce roman américain – dont j’ai appris depuis qu’il n’avait effectivement pas grand-chose à voir avec mon projet initial. Désormais, cette plaisanterie sera également partagée par ceux et celles qui auront lu cette page.
Notes :
(1) La série reprendra en 1942 avec Le Spectre de Frankenstein (« The Ghost of Frankenstein »), qui s’affirme clairement comme la suite de la trilogie, puis, à raison d’un film par an, avec Frankenstein rencontre le loup-garou, La Maison de Frankenstein et enfin La Maison de Dracula (oui, « Dracula » ! Le plus amusant dans ce film-ci, c’est que le personnage principal n’est ni Frankie ni le comte aux dents pointues, mais Lawrence Talbot, aka le « loup-garou »).
(2) En somme, moins de deux mois et demi pour mettre les scènes en boîte, monter les séquences et procéder aux ultimes réglages. Qui a dit que le cinéma était une industrie ?
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