Le Serpent de feu (extrait)

Quelques minutes plus tard, nous canotions en rasant les péniches, à quelques brassées du mur d’enceinte. À moitié masquée par la végétation et quelques arbres souffreteux, la muraille paraissait bien moins élevée que sa congénère de Harrow Road, du côté de l’entrée principale, et, de place en place, le bord supérieur avait tellement subi de dégradations que son escalade s’apparentait à un jeu d’enfant.

Après avoir parcouru un quart de mile, et dépassé une douzaines de péniches, leur nombre diminua. Ayant ramé encore cinq bonnes minutes, nous accostâmes peu avant le mur qui séparait le cimetière de Kensal Green de celui de St Mary. Notre approche aurait pu être regardée comme étant d’une parfaite discrétion si, en posant le pied sur la berge, près d’un massif, nous n’avions pas réveillé une famille de palmipèdes qui détala en cancanant et en battant des ailes.

— Toi le premier, fit James qui s’était adossé au mur de pierres pour me faire la courte échelle. Quand tu seras arrivé en haut, je te passerai les outils et tu les lanceras au sol. Attention de ne pas les larguer sur un autre groupe de canards !

Lorsque j’eus sauté de l’autre côté du muret, à quelques pas de la première rangée de tombes, il ne fut pas long à me rejoindre.

Nous ramassâmes les outils et la lampe torche, puis avançâmes avec précaution. Près de nous s’ouvrait une allée paraissant se diriger vers un grand édifice, dont l’ombre se devinait à environ deux cents yards devant nous. Il devait s’agir de la chapelle anglicane, qui dominait toute la partie ouest du cimetière, sur une terrasse couvrant de vastes catacombes. Encore plus loin, le long de Harrow Road, se trouvait la célèbre colonnade où reposaient quelques somptueux tombeaux. L’entrée principale du cimetière, quant à elle, se situait à plus d’un demi-mile par rapport à nous, du côté nord-est.

— Il ne reste plus qu’à trouver la résidence de ce Marcus Bolton, signala James. Et ça risque de ne pas être une partie de plaisir. L’endroit est immense.

Notre mission s’annonçait d’autant moins aisée qu’aux informations relevées dans le registre des Patterson — numéro de la tombe, du carré et de la rangée — ne correspondait aucun marquage dans les parcelles de terrain environnantes.

— Pupper a dit que le gardien qui lui a raconté son histoire avait en charge le secteur se situant au centre de la nécropole, rappelai-je. Ça semble correspondre à cette partie boisée, là-bas, non loin de la chapelle.

— Entendu. Dirigeons-nous vers ce point et, sur le trajet, vérifions les stèles. On ne sait jamais.

Nous inspectâmes tous les emplacements, du simple cénotaphe rudimentaire au mausolée faramineux, empruntant qui aux temples de la Grèce antique, avec leurs colonnades en miniature, qui aux fastueux palais de l’Égypte ancienne, surmonté d’un sphinx au visage impassible.

Cependant, malgré notre vigilance, nous ne trouvions nulle part le nom de Marcus Bolton. De plus, bien que les nuages aient laissé place par endroits à un ciel plus dégagé, la lumière de la lune faisait toujours aussi cruellement défaut. Quand le site était suffisamment préservé de la vue par la végétation, nous nous autorisions à allumer la lampe torche, en prenant soin d’atténuer son faisceau du plat de la main, mais le risque que notre présence fût découvert rendait l’opération trop incertaine pour la renouveler fréquemment.

Autour de nous, le silence était absolu. Derrière le mur d’enceinte que nous avions escaladé se découpait la silhouette monumentale des deux gazomètres.

Ayant atteint la lisière de ce que j’avais désigné comme le centre de la nécropole — en réalité une sorte de sous-bois délimité à sa périphérie par une allée circulaire, et traversé d’ouest en est et du nord au sud par deux larges chemins —, nous venions de pénétrer à l’intérieur de la zone.

(Extrait du chapitre IX intitulé « Au cimetière de Kensal Green »)
© 10/18